Bye, ma belle Salluit
Bye ma belle Salluit. C’est fou de penser que je suis arrivée chez toi, il y a déjà 5 longues années et qu’à travers tout ce temps, j’ai eu la chance de vivre le Grand Nord.
Moi Andy, une jeune femme seule de 26 ans, un baccalauréat en poche, des rêves plein la tête, de l’ambition à tout casser, et prête à changer le monde. Et de réaliser que je pars maintenant de chez toi à 31 ans, femme et maman d’une petite croquette, beaucoup plus mature, beaucoup plus posée, surtout, beaucoup plus forte qu’avant.
Tu m’as changé, mais je ne t’ai pas changé Salluit, c’est ça le grand secret du Grand Nord.
Bye ma belle Salluit, t’aura été tout pour moi. Littéralement tout.
- T’aura été mon bout du monde, mon territoire indomptable aux creux des montagnes du Grand Nord. Terre de blizzards et de vents souvent sauvages. Terre de froids immenses, de ciels magiques. En février, je me suis fais une engelure à l’oreille une fois en marchant deux minutes dehors à – 50. J’ai vu tellement d’aurores boréales.
T’aura été ma maison, mon safe space, ma zone de confort. L’endroit ou je savais comment tout allais se passer, parce que j’ai fini par te connaître si bien. Ce cycle qui dure une année et qui se répète à l’infini.
En septembre, tout est beau et vert, c’est le temps d’aller aux moules et de cueillir des bleuets. Octobre arrive et tout le monde met son parka en dessous de son costume d’Halloween, parce qu’il fait déjà bien froid et la neige tapisse déjà tout le village. Novembre, c’est toujours dur, le soleil peut se coucher à 2h00 de l’apres-midi, on a l’impression qu’il fait toujours noir. Décembre, c’est déjà Noel. Janvier et février, l’heure des immenses froids qui vont sous les -40. Mars, ou le soleil revient et on pourrait se mettre en petite laine mince à -20 sur son skidoo. On dirait qu’il fait chaud, même s’il fait -20. Avril et mai, l’eau coule partout dans le village, c’est le moment des bottes d’eau. Juin, oublie les terrasses au soleil sur la rue Saint-Denis, tu peux encore faire de la pêche sur la glace sur le lac près de l’aéroport, le dernier jour de l’école.
Et on recommence, et on recommence.
- T’aura été mon chaos, mon désenchantement, ma claque dans la face. Le Nunavik, c’est bien au Canada? Tu es l’endroit ou j’ai vécu le suicide de nombreux des jeunes avec qui je travaillais, un mal-être souvent profond et invisible, mais surtout visible.
T’aura été l’endroit ou j’ai fait ma première grossesse. Mon berceau de maman, un village aux milles bras pour prendre mon bébé, parce que les gens de Salluit sont beaux, aidants et aiment à la folie les enfants.
T’auras été tout pour moi, ma belle Salluit.
Toute personne qui a déjà travaillé au Nord, sais que c’est bouleversant de partir. C’est difficile d’expliquer aux gens du Sud, comment c’est le Nord. On sait qu’on quitte un univers que nous ne retrouverons jamais.
C’est immensément difficile et immensément beau. -Car il y a des réalités qui sont difficiles à voir, et des aurores boréales qui sont si faciles à voir, elles.
Immensément grand et immensément petit. -Car tu sors du village et tu te retrouves dans la plus pure des toundras à des kilomètres d’avion du prochain village, mais aussi, tout le monde se connait et sais tout sur tout le monde. Tout le village est à la coop, le samedi après-midi.
Immensément isolé et immensément proche. – Car c’est loin de ta famille et de tes amis du Sud, mais si proche de tes amis du Nord, ici on devient meilleurs amis rapidement par solidarité, on s’entraide tous les jours, on soupe ensemble souvent.
Bye ma belle Salluit, je m’étais tellement habituée à toi. T’étais devenue mon quotidien, la façon dont je vivais ma vie normalement.
- Commander ma nourriture par cargo. Aller la chercher avec le truck. Monter dans la boîte du truck, placer les boîtes immenses, les déposer devant chez moi. Il fait -30. Bon, une bonne chose de faite, j’ai de la bouffe pour les deux prochains mois.
Aller à la coop, acheter patates, carottes, et choux qui sont toujours en stock. Être vraiment contente d’avoir trouvé un ananas, laisser de côté les tomates et les concombres pourris à 8$.
Marcher de la maison à l’école, de l’école à la maison, de la maison à l’école. Marcher avec des élèves. Passer sa fin de semaine à l’école pour des projets. Regarder les enfants jouer au hockey le soir, patiner avec leurs patins dans les rues.
Regarder la météo 20 fois par jour, parce que la température change aux demi-heures. Ok, je sors-tu, les vents sont à 70 km? Bon, c’est pas si pire, je m’en vais juste souper chez mes amis.
Mettre des pantalons de neige, une cagoule, des gants, des bottes en tout temps. Sentir le froid glacial rentrer dans la maison dès qu’on ouvre la porte.
Ne pas pas sortir aujourd’hui, il y a un blizzard, c’est dangereux.
L’avion ne décolle pas. Bris mécaniques, vents forts, brouillards. Oups, on a overshooté Ivujivik.
Prendre l’avion pour Salluit. Fais-tu la run de lait? Prends-tu le dash? La Grande, Puvirnituq, Akulivik, Ivujivik, Salluit, en un chapelet. Monter, descendre la Baie d’Hudson, la monter encore. Oh boy, j’ai apporter ben trop de bagages.
L’école est fermée, on manque d’eau. Oh, moi aussi j’ai plus d’eau. On se lave à la débarbouillette pendant 3 jours avec les réserves que je me suis faites la dernière fois que le camion est passé. Ouf, le sewage vient de passer, ça sent pas bon.
-Un p’tit bobo, je me pointe à la clinique juste après l’école à 4h00 pm. En 5 minutes, je vois une infirmière.
-Je marche à l’Inukshuk, je le marche au moins 5 fois dans l’année. D’autres fois, je monte à la croix, ou je vais marcher sur la Baie. Il n’y a pas beaucoup de treks, mais se sont les plus beaux.
-Je marche, on m’offre un lift pour aller travailler. Le parking de l’école est rempli de skidoos et de quatre-roues, pas d’autres trucks que celui de l’école. As-tu déjà vu un banc pour enfants à Salluit? Moi jamais, ma minie a fait du quatre-roues à 3 mois.
-Je rentre dans ma classe, ça sent le phoque. Mes élèves se sont faits un festin à la maison. Ça sonne chez nous, il est samedi matin, des élèves viennent m’apporter une oie ou des poissons. Si c’est de l’arctic char, je le mange cru, c’est trop bon.
-C’est lundi matin, je vais au congélateur communautaire pour aller chercher de la viande avec les élèves pour cuisiner en cours. Qu’est-ce que tu veux cette semaine? Une patte de caribou ou un arctic char? Si tu veux, il y aussi des morceaux d’ours polaire, c’est celui-ci qui s’est approché trop proche du village la semaine passée.
-J’ai froid et je suis maman. Une maman du village me coud un manteau, les parkas inuits, ce sont les meilleurs au monde. C’est l’fun, souvent on parle des couleurs de notre prochain parka et de ou on va commander notre fourrure. On se réuni et on fait des pualuks autour d’un thé.
-C’est la graduation des élèves de secondaire 5. C’est le party dans le gymnase, on a commandé de la bouffe congelée du sud. Après la fête, on reste pour ramasser. C’est minuit, le soleil n’est pas encore couché, il fait clair toute la nuit. On est ben trop sur l’adrénaline d’un si bel évènement pour aller dormir. On est tellement fiers de nos élèves. On réalise qu’une autre année au Nord vient de passer. Ca fait combien d’année que je suis à Salluit? Personne ne se dit qu’il va rester si longtemps au Nord, mais le Nord, c’est si vibrant, si vrai, si intense, si attachant. Ca m’a chamboulé plus que lorsque j’ai traversé l’Afrique avec mon sac-à-dos de l’Éthiopie à l’Afrique du Sud. Juste pour te dire.
Bye, ma belle Salluit. Tu vas me manquer. Je t’aime de coeur. Tu es unique et magique, tout comme tes habitants. Ca me fait quelque chose de quitter ton quotidien, ton univers, ton rythme, et mes amis du Nord.
Je sais que ton quotidien atypique était devenu mon quotidien normal. Et même si la vie était parfois rude chez toi, t’a été ma maison adorée, ma précieuse zone de confort, mon paradis du bout du monde. On se revoit à Kuujjuaq.
Envie d’en connaître plus sur ma grande aventure dans le Grand Nord? C’est par ici :
https://pleinairvoyagesetcompagnie.com/2019/09/20/ma-fille-voici-pourquoi-aller-au-nord/